le 3 avril 2012 à « La Boutique », 19, rue Trousseau 75011 Paris
Intervenants :
- Tarik Bengarai ,hafiz, chercheur en droit musulman et en finance, porte-parole du Comité Indépendant de la finance islamique en Europe (CIFIE), diplômé EPHE, ingénieur ENPC, MBA Finance à l’IAE.
- Bertrand du Marais, Professeur à l‘Université Paris Ouest, Co-auteur du « manifeste de financiers chrétiens atterrés » (PJ), ancien élève de l’ENA
- Gaël Giraud, Jésuite, chercheur au CNRS (Centre d’Economie de la Sorbonne), ancien élève de l’ENS-Ulm, co-auteur de Vingt Propositions pour réformer le capitalisme, et de Le Facteur 12 – pourquoi il faut plafonner les revenus.
- Jean-François Lévy bureau de la Fraternité d’Abraham, Mouvement juif libéral de France
Animateur : Marc Lebret, Carrefour de mondes et des cultures
Sommaire :
0) Introduction
1) Ce que nous dit la théologie
2) La Finance islamique
3) La crise financière actuelle et le cas de la Grèce
4) Propositions
Les enregistrements audio et vidéo complets sur disponibles sur : www.carrefourdesmondesetdescultures.org
En introduction, Marc Lebret explique le choix du thème pour la conférence-débat.
D’une part, le monde vit une crise financière grave depuis 2007. Cette crise semble à peu près surmontée à très court terme, mais est loin d’être réglée sur le fond. Le développement des marchés financiers et leur absence de transparence, la dérégulation alliée à l’exigence de rendements élevés et à la spéculation, l’endettement excessif des Etats occidentaux ont provoqué des déséquilibres importants. Des Etats dont la Grèce ont été au bord de la cessation de paiement. En toile de fond, la question des valeurs joue un rôle important : l’avidité, la cupidité individuelle ou collective (au niveau des entreprises), la préoccupation de l’avoir plutôt que de l’être, semblent à la racine de ces déséquilibres.
D’autre part, le monde de la finance a vu l’émergence ces dernières années de la finance islamique. Son potentiel de 5.000 milliards d’euros représente d’ores et déjà 1% de la finance mondiale et sa croissance est rapide. Elle se base sur des principes comme la non-spéculation liée au hasard, le refus de produits dérivés classiques et l’adossement des prêts à l’économie réelle. Les prêts à intérêt sont interdits [comme pour la Torah et la Bible] et remplacés par d’autres véhicules : la location du bien à un tiers financier ou bien le Principe de Partage des Pertes et des Profits (4P).
Le rapprochement de ces 2 faits conduit à s’interroger sur le rôle possible des religions par rapport à la finance. Comme les religions n’ont pas le monopole des valeurs, le thème inclut les éthiques laïques.
1) Ce que nous dit la théologie
Tarik Bengarai nous explique que pour l’islam, l’argent n’appartient pas à l’homme mais à Dieu qui le confie en dépôt à l’homme. Ce qui n’empêche pas que les biens d’autrui soient considérés comme sacrés. Quant au crédit, il ne doit pas être industrialisé. Il ne doit pas non plus y avoir de spéculation hasardeuse (liée au hasard), ni de contrat lié à la vie ou à la mort, donc pas d’assurance-vie classique. Le 4P (Principe de partage des pertes et des profits) est utilisé et fait que le capital n’est pas garanti.
Jean-François Lévy cite en préambule un économiste zambien qui disait récemment « Les Juifs réussissent bien en affaires car leur religion leur interdit de tricher et de tromper autrui ».
Puis il cite les différents passages de la Torah se référant à la question de l’argent (liste complète en fin de document).
Dans l’Exode notamment, il est prescrit de ne pas prêter avec un intérêt et que « si l’on prend en gage un manteau, il faut le rendre avant le coucher du soleil ».
Le Lévitique indique que lorsque quelqu’un achète une terre, il la rend au vendeur lors de l’année jubilaire au bout de 50 ans et que les esclaves sont également libérés à cette occasion. En effet, la terre appartient à Dieu et l’homme en est le locataire. La terre peut même vomir ses habitants lorsqu’ils se comportent mal.
En ce qui concerne les prêts, au bout de la période de 7 ans pendant lequel le prêt a été fait, il y a rémission du prêt en l’honneur du Seigneur (ce qui fait qu’en pratique, on risquait de ne plus prêter lorsque le terme des 7 ans approche). Les rabbins ont surmonté ce problème avec la règle du Prosboul. Cette règle, qui a fait l’objet de débats difficiles il y a 2000 ans, prévoit que les dettes ne sont pas annulées lorsqu’il y a intervention d’un tribunal rabbinique avant la fin des 7 ans (le terme signifie en grec « pour la Cour »).
Il est interdit de percevoir des intérêts en cas de prêt sauf lorsqu’il s’agit de prêts à des étrangers, le mot étranger voulant en fait dire ennemi en l’occurrence puisque, pour l’étranger résidant le traitement est le même de façon générale que pour le compatriote (Lévitique 19 : 33-34)
En cas de bien mal acquis, la réparation doit être de la valeur du bien majorée d’un cinquième (Lévitique 5 : 224)
Le Judaïsme prescrit : « ne fais pas à autrui ce que tu ne désires pas qu’il fasse pour toi ». Le christianisme a une prescription analogue, mais de manière positive : « fais à autrui ce que tu désires qu’il fasse pour toi ».
Gaël Giraud cite tout d’abord Isaïe 58 qui fait comprendre que ce qui est premier est le lien social, et notamment le lien avec le plus pauvre et l’orphelin. Il cite ensuite l’Evangile de Luc dans lequel l’intendant astucieux ou malhonnête gère l’argent de son maître. L’intendant remet la dette d’une partie des débiteurs de son maître pour se faire des amis pour le jour où il se fera mettre à la porte par son maître. La parabole montre en fait que le lien social prime sur « les aspects comptables ».
Il indique aussi que l’Eglise depuis le IVe siècle a toujours proscrit le prêt à intérêt et n’est jamais revenue sur cette proscription.
La proscription du prêt à intérêt est aussi un point commun avec… le marxisme.
2) La Finance islamique
Tarik Bengarai explique le développement de la Finance islamique.
La finance islamique s’est d’abord développée en orient, puis en occident dans le cadre de l’Andalousie musulmane. Elle se développe ensuite dans le contexte post-colonial notamment à partir des années 50-60, puis en Malaisie, en Arabie Saoudite et dans d’autres pays. En ce qui concerne les banques occidentales, Citibank a été la première à ouvrir sa filiale en 1996 à Bahrein, suivi de HSBC en 1998 à Dubaï. Le groupe UBS a créé sa filiale à Bahreïn en 2002. En juin 2003, le français BNP-Paribas a lancé une unité de banque islamique à Bahrein et vend ses produits aux institutions financières islamiques. D’autres banques conventionnelles dédient tout un département à ce créneau : Standard Chartered, Goldman Sachs, Dresden Bank, ABN Amro, Barclays, Société Générale, Deutsche Bank et plus récemment Calyon.
Le Royaume-Uni est aujourd’hui le leader du développement de la finance islamique en Occident avec notamment la première banque islamique d’Europe ouverte à Londres en septembre 2004, l’Islamic Bank of Britain (IBB).
En France, une 1ère mention de la finance islamique est faite au Sénat le 22/6/07 puis par l’AMF le 17/7/07, et la Ministre Christine Lagarde soutient son développement notamment le 2/6/08.
En mars 2010, la Bred présente un produit de finance islamique (Murabaha), mais qui provoque une réaction négative de la part de certains clients qui menacent de retirer leur argent de la banque : c’est ce qu’on appelle désormais l’effet Bred, i.e. le risque d’image pour les banques qui développeraient la finance islamique auprès du grand public. Cela n’empêche pas que très récemment, la 1ère assurance-vie islamique en France métropolitaine a été lancée avec le CIFIE (Comité Indépendant de Finance Islamique en Europe).
En France, elle est confrontée à deux contextes : la finance classique et le droit français. La bonne prise en compte de ces deux contextes est le garant de son introduction complète et réussie dans la place française. Si le droit anglo-saxon de part ses degrés de liberté et sa souplesse a permis à l’Angleterre d’être la plaque tournante de la finance islamique en Europe, en France des efforts sont encore à faire pour limiter les frottements entre cette finance « nouvelle » « à forte connotation religieuse» et la laïcité d’une part et d’autre part pour adapter le droit français -qui est l’un des moins attractifs au monde en terme de complexité- aux spécificités de la finance islamique. Les banques françaises ont généralement adopté une autre stratégie en développant la finance islamique mais à l’étranger, afin notamment de capter les liquidités provenant des pays pétroliers.
Les banques islamiques sont d’abord des investisseurs qui obéissent à un code moral, qui les contraint à avoir un filtre d’exclusion et à favoriser l’économie réelle. On pourrait croire ainsi qu’à cause de ces contraintes (ou principes) elles se privent d’opportunités d’investissement et que leur absence de certains marchés les pénalise financièrement. Les chiffres démentent clairement cela. En effet, depuis leur existence, les banques islamiques ont un rendement financier certes moins important sur les périodes de vaches grasses par rapport à leurs concurrentes occidentales, mais en période de vaches maigres (ou de crises) leurs rendements restent positifs alors que l’économie mondiale souffre et que certains de leurs concurrents occidentaux agonisent. Ainsi sur le moyen long terme les banques islamiques sont plus performantes et plus stables Mais la finance islamique n’est pas mise à l’abri de la crise avec la bulle immobilière de Dubaï par exemple.
Pour plus de détails, on se reportera au livre de Tarik Bengarai « comprendre la finance islamique ».
3) La crise financière actuelle
Bertrand du Marais explique qu’il y a une double crise de valeurs. D’une part, « l’ajustement automatique des marchés » est devenu un dogme, une véritable valeur morale, voire le sujet d’une « idolâtrie de marché » qui s’est montrée illusoire. D’autre part, il y a crise de valeurs dans les propositions de solutions avancées: soit améliorer, mais alors à la marge, le système en place, soit rentrer dans la logique du bouc émissaire. C’est pourquoi la crise actuelle « convoque » des valeurs transcendantes, religieuses ou laïques – ces dernières prenant alors la forme de droits fondamentaux.
Après la crise des marchés financiers, il y a eu la crise des dettes souveraines, qui a également démontré les dangers de donner trop de pouvoirs aux marchés financiers. A cet égard, l’Etat français dépend à plus des deux tiers des agences de notation puisqu’il emprunte deux tiers de ses besoins sur les marchés et le reste directement auprès des entreprises et des ménages. Il est absurde que les Etats membres de l’UE, voire les institutions de l’UE ne lèvent pas un « emprunt populaire », directement auprès des particuliers et doive s’adresser aux marchés financiers. En ce qui les concerne, l’Italie et le Japon ont fait vivre une « démocratie financière » avec des emprunts populaires. De même, la BCE ne peut prêter qu’aux banques au lieu de prêter directement aux Etats. Quant aux banques, elles nous ont trompés en « se repassant la patate chaude » et en comptant en dernier ressort sur l’Etat et le contribuable pour payer.
Dans le Manifeste qu’il a publié avec plusieurs « financiers chrétiens », ils se sont déclarés « atterrés » : « l’indigné » est choqué mais surpris par un évènement, « l’atterré » est choqué par les développements d’un évènement qui était prévisible et prévu.
Pour Tarik Bengarai, la finance actuelle est dénaturée. « Elle a n’a pas fait confiance au code morale de la révélation, elle a voulu s’en affranchir. Notre pensée a été défaillante et les politiques financières court-termistes ».
Le cas de la Grèce
Gaël Giraud explique que la Grèce a menti sur ses comptes au moment d’adhérer à l’Europe avec un rôle actif de la banque Goldman Sachs sur ce point. Mais pourquoi la Commission Européenne a-t-elle, sinon fermé les yeux, du moins été dupe ?
La Grèce vit une tragédie humanitaire et revient au niveau d’un pays d’Afrique sub-saharienne. 200.000 personnes ont dû quitter Athènes, la moitié des magasins ont fermé, il n’y a plus de médicament dans les hôpitaux et les pharmacies. On dit que certains pères de familles au chômage en arrivent à s’inoculer le virus du Sida pour toucher l’une des dernières allocations qui n’aient pas encore été supprimée. Or ce pays ne représente que 2% du PIB européen. Les plans d’austérité sont inefficaces. Les créanciers auraient donc dû [encore plus] remettre la dette. Ils seront contraints de le faire rapidement, sauf à ce que la Grèce décide elle-même d’un défaut souverain unilatéral, accompagné d’une sortie de la zone euro. La parabole de l’intendant astucieux (Lc, 16, 1-13) rappelle, estime-t-il, que l’Evangile de Luc connaît déjà fort bien les problèmes posés aux emprunteurs non-solvables. Et le Christ indique clairement que la préservation du lien social compte davantage que le remboursement des dettes. D’autant que l’argent créé par les banques pour être prêté aux Etats ne leur a pratiquement rien coûté. Il ne s’agit nullement d’économies durement acquises par des salariés-épargnants et qui auraient été prêtées à des Etats impécunieux mais de monnaie créée conformément à des règles prudentielles qui sont largement contournées et vidées de leur contenu par les banques elles-mêmes.
La France est-elle le prochain pays sur la liste ?
En Grèce comme en Italie et en Irlande, ce sont les marchés financiers qui ont fait tomber les gouvernements et non le vote du peuple.
4) Propositions
Gaël Giraud indique que :
En décembre 2011, le Conseil pontifical Justice et paix a demandé :
- La mise en place d’une taxe sur les transactions financières de type Tobin
- La séparation des métiers bancaires entre banque d’investissement (sur les marchés financiers) et banque de dépôt-crédit
- La recapitalisation des banques avec un droit de regard (présence au Conseil d’administration)
La Conférence européenne des Evêques s’est prononcée pour l’accélération de l’intégration budgétaire et politique de l’Europe, ce qui signifie un abandon d’une part de souveraineté de chacun des pays au profit de l’Europe.
Baudoin Roger indique que selon la Doctrine sociale de l’Eglise « n’est légitime que la propriété nécessaire à mon développement ». Celle-ci ne met pas de limite aux revenus, mais à leur usage. « L’homme n’est pas autorisé à disposer de ses revenus au gré de ses caprices. Le juste salaire est celui qui fait vivre le salarié sobre et honnête, avec sa famille » [il faudrait donc donner à la collectivité ce qui va au-delà] .
Pour favoriser la croissance, Gaël Giraud appelle à un grand plan de transition énergétique et climatique et à une réindustrialisation européenne verte. Il ne pense pas que la création monétaire (planche à billets) crée l’hyper-inflation. Et c’est le plan d’austérité du chancelier Brüning entre 1930 et 1933 qui a provoqué l’arrivée de Hitler au pouvoir. Si nous voulons que Marine Le Pen arrive au pouvoir en France, continuons les plans d’austérité !
Il faut aussi réglementer sans état d’âme les marchés financiers [c’est également la demande forte de Jean-Pierre Jouyet , le patron de l’Autorité des marchés financiers]. « Aujourd’hui, c’est comme si des policiers à vélo étaient chargés de faire respecter le code de la route sur un circuit de formule 1 » dit Gaël Giraud. Il faut que le politique donne plus de pouvoir au régulateur. Les financiers français, qui ont été capables de créer des modèles financiers ultrasophistiqués, devraient être capables de mettre leurs compétences cette fois-ci au service de la régulation financière.
Selon lui, il faut aussi aider les entreprises à se libérer du diktat de l’exigence de 15% de retour sur les capitaux investis. Il devrait y avoir un engagement à détenir une action pendant au moins 10 ans et le droit de vote d’un actionnaire pourrait être lié à la durée de détention (vote double à partir de 5 ans de détention, etc) .
Michel Camdessus a par ailleurs mis en cause les paradis fiscaux, les fonctions de contrôle ou d’évaluation et leur caractère procyclique, comme celle des agences de notation, et les règles de comptabilité internationales . On peut également ajouter la question des niveaux de rémunération et la fiscalité (stock options par exemple)
Selon Gaël Giraud, il s’agit d’éclairer l’opinion publique car, en définitive, elle seule peut faire bouger les gouvernants dans le bon sens.
Bertrand du Marais demande le droit à l’expérimentation financière, sortant des paradigmes traditionnels, ce qui n’a pas été possible jusqu’à présent. Il cite notamment la mise en œuvre de modes financement nouveaux reposant sur le « 4P », principe du partage des pertes et profits. Ce principe est commun à la religion chrétienne et à la finance islamique, et remplacerait les financements basés sur l’intérêt. Cela nécessite des réformes fiscales et du droit des sociétés. Stanislas Ordody à ce propos indique que le 4P est d’abord une technique , une technique qui pose la question de la confiance, du lien et de l’amitié puisqu’il y a partage des profits et des pertes.
De son côté, le grand rabbin Haïm Korsia propose une solution en remplacement du prêt à intérêt. Par exemple, pour un prêt de 1.000€, 500€ seraient remboursés sans intérêt, et pour les 500€ restants, il y aurait partage des pertes ou des profits. En cas de profit, il peut y avoir un partage à 30% pour le prêteur, et 70% pour celui qui a travaillé. Ou bien un salaire fixé pour celui qui a travaillé qui peut être de 100€ et le reste serait partagé à 50%-50%.
L’importance de l’économie du don et de la gratuité développé par Benoît XVI dans son encyclique Caritas in veritate est souligné par plusieurs intervenants.
Bertrand du Marais conclut : « oui, il existe des valeurs transcendantes, différentes du matérialisme et de court-termisme. Oui, les valeurs religieuses peuvent sauver la finance mondiale ».
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3 annexes
1) Références des textes sacrés:
Bibliques données par Jean-François Lévy :
Exode 22 : 25-27
Lévitique 5 : 20-26, 19 : 9-15, 34, 35-36, 25 : 13-17 et 23-24, 25-28, 35-37
Deutéronome 13 : 1-11, 23 : 20-21
Isaïe 1 : 17-22, 58 : 3-10.
Coraniques citées par Tarik Bengarai:
*Le Nombre de versets qui traitent du Ribâ est de 8 (sourate 2 : versets : 275, 276, 278, 279 et 280 ; sourate 3 : verset 130 et sourate 30 : Verset 39).
*Maysir (jeux de hasard) : sourate 2, verset 219 et sourate 5 versets 90 et 91 (ces deux derniers versets sont abrogeant) .
*Gharar, cité dans les Hadîths (Sunna).
* Screening négatif, à partir des interdictions coraniques et de la Sunna.
*Zakât (pilier de l’islam):citée dans 82 versets, voir notamment sourate 9, verset 60 et versets 34 et 35.
2) Grandes dates de la finance islamique
* 1963 : naissance des principes financiers islamiques en Egypte. La Mit Ghamr Saving bank propose des comptes épargnes basés sur le partage des bénéfices.
* 1969/1970 :l’Organisation de la Conférence Islamique (l’OCI[1]) nouvellement créée, lance l’idée de la banque islamique.
* Fin 1973 : l’avènement de la Banque Islamique de Développement (BID). Il s’agit d’une institution de financement de développement multilatérale basée à Djeddah (Arabie Saoudite). Elle a été fondée à l’issue de la première conférence des Ministres des Finances de l’Organisation de la Conférence Islamique (l’OCI), convoqués le 18 décembre 1973. La banque a officiellement commencé ses activités le 20 octobre 1975. Il y avait au départ 54 États membres de l’actionnariat. Sur la base du capital versé, les actionnaires principaux de la Banque sont : l’Arabie Saoudite, le Soudan, le Koweït, la Libye, la Turquie, les Emirats Arabes Unies, l’Iran,l’Egypte, l’Indonésie et le Pakistan. Cette banque (organisation multilatérale) comprend désormais 56 pays membres, elle a pour vocation d’apporter son concours aux PVD[2] et PMA[3] (26) sous forme d’aide au développement, et avec des techniques de financements islamiques, qu’il s’agisse de financer le commerce extérieur, de lutter contre la pauvreté ou de financer certaines infrastructures (routes, barrages hydro-électriques..) et certains projets sociaux comme la construction d’écoles ou de centres de santé.
* 1975 : activation officielle de la banque islamique du développement (BID) et naissances de banques islamiques telles que la Dubai Islamic Bank, la Kuwait Finance House et la Bahrein Islamic Bank.
* 1979, 1981 et 1983 : islamisation totale des systèmes financiers des pays du Soudan, Pakistan et Iran
* 1979 : le Pakistan islamise son secteur bancaire.
* 1983 : le Soudan et l’Iran convertissent aussi leur secteur bancaire. Nombreux sont les pays islamique du Golfe et de l’Asie qui ont suivi (Arabie, Emirat, Indonésie, Malaisie…)
* 1980-2000 : développement de la Finance Islamique en Asie du sud-est et au Moyen Orient.
* 2000-2008 : développement de la Finance Islamique en Europe, au Moyen Orient, en Asie du Sud Est et en Afrique du Nord[4], autant des banques islamiques qui prennent de l’ampleur ou qui se créent que des banques traditionnelles (non islamiques) qui développent le créneau.
On assiste ainsi à l’émergence de fenêtres islamiques (Islamic Windows), c’est-à-dire des banques classiques non islamiques qui créent des filiales (agences) et des produits de la finance islamique (shari’a complient[5]). Citibank a été la première à ouvrir sa filiale en 1996 à Bahrein, suivi de HSBC qui a implanté Amanah Finance en 1998 à Dubaï. Le groupe UBS a créé sa filiale Noriba Bank à Bahreïn en 2002. En juin 2003, le français BNP-Paribas a lancé une unité de banque islamique à Bahrein et vend ses produits aux institutions financières islamiques. D’autres banques conventionnelles dédient tout un département à ce créneau : Standard Chartered, Goldman Sachs, Dresden Bank, ABN Amro, Barclays, Société Générale, Deutsche Bank et plus récemment Calyon.
Le Royaume-Uni est aujourd’hui le leader du développement de la finance islamique en Occident avec notamment la première banque islamique d’Europe ouverte à Londres en septembre 2004, l’Islamic Bank of Britain (IBB).
[1] Organisation intergouvernementale créée le 25 septembre 1969 (12 rajab 1389 H). Elle regroupe cinquante-sept États membres. C’est une organisation intergouvernementale qui possède une délégation permanente aux Nations unies, par laquelle elle est la seule à regrouper des pays sur une base religieuse officiellement reconnue.
[2] Pays en Voie de Développement.
[3] Pays les Moins Avancés.
[4] Pour le Maroc (par exemple) où plusieurs filiales de grandes banques françaises sont enracinées, sept banques islamiques ont demandé à s’y installer jusqu’en 2007, mais aucune de ces demandes n’a été satisfaite, avait indiqué en mars 2007 le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri. : »Nous sommes plutôt pour l’ouverture de fenêtres (pour les banques existantes), et non pas pour accorder des autorisations », avait-il alors souligné.
[5] Terme arabe-anglais couramment utilisé qui signifie « compatible avec les principes de l’islam » : validation par un comité de savants musulmans spécialistes « Shari’a Board » voir plus loin.
3) Performances des banques islamiques
L’enquête annuelle du magazine professionnel The Asian Banker, révèle que les actifs des cent plus grandes banques islamiques ont augmenté de 66 % en 2008 (contre + 13,14 % pour les 300 premiers établissements d’Asie). Dans le classement, les banques iraniennes occupaient sept des dix premières places, alors que les saoudiennes étaient les plus rentables. Le secteur pèse 700 milliards de dollars d’actifs (490 milliards d’euros).[1]
Une recherche récente[2] s’est intéressée aux mesures de la performance boursière de la finance islamique et à l’impact de l’application de critères d’exclusion sur le niveau de performance globale d’une panoplie d’indices islamiques. La question était si la finance islamique est capable ou non d’offrir aux investisseurs boursiers une rentabilité et un risque de niveau comparable. Plusieurs indices Dow Jones islamiques sectoriels et régionaux ont été appariés à des équivalents classiques sur la période 1996 à 2009.
Sur la période 1996-2009, les résultats ne dénotent pas une différence significative de performance au niveau mondial. Pour la région de l’Asie Pacifique en particulier, la performance, mesurée par le ratio de Sharpe[3], de l’indice islamique est significativement supérieure de 0,0117 par rapport à celle de l’indice conventionnel traduisant une meilleure rémunération du risque. Ces constatations empiriques permettent d’affirmer que le secteur de la finance islamique ne semble pas souffrir des coûts qui lui sont spécifiques. La meilleure performance observée sur la région de l’Asie-Pacifique, berceau de la finance islamique, aurait même tendance à prouver l’inverse. En outre, lorsque l’on s’intéresse aux seules observations extrêmes, la plupart des indices islamiques semblent à la fois moins souffrir de la chute des cours et moins tirer profit de la hausse. L’indice islamique mondial affiche en effet une performance (ratio de Sharpe) supérieure de 0,53 à la baisse et inférieure de 0,38 à la hausse comparée à celle de leurs équivalents conventionnels.[4]
Quant aux conséquences de la récente crise financière, il est important de noter que l’interdiction du prêt à intérêt a évité aux banques islamiques de se lancer sur le marché des crédits à risque subprimes basés sur l’endettement et à l’origine des difficultés de nombreuses banques américaines ou britanniques. La prohibition de la spéculation (Gharar, Maysir) a également protégé ce secteur des déboires qu’ont connus tant de grands établissements occidentaux dans le négoce de produits financiers exotiques. Enfin, l’expansion de la classe moyenne musulmane dans les économies émergentes du Golfe et d’Asie a alimenté la demande de placements gérés en conformité avec les préceptes de l’islam.
[1] Article lemonde.fr du 01/01/2009.
[2] K. Jouaber et M. Ben Salah, 2009 «The performance of Islamic Market Indexes in Catastrophic Market Events», document de recherche, Université Paris-Dauphine.
[3] Ce ratio permet au gestionnaire d’un fonds d’optimiser le niveau de risque pris et la rentabilité attendue ; le ratio représente le rapport de la performance du fonds diminuée du taux sans risque (ce dernier correspond à un placement monétaire sans risque), le tout sur la volatilité du fonds. Le risque est jugé rémunérateur si le ratio de Sharpe est supérieur à 1. Si le ratio est supérieur à 0,5, le rendement du portefeuille sur-performe le référentiel pour une prise de risque ad hoc. Autrement dit, la sur-performance ne se fait pas au prix d’un risque trop élevé.
[4] Voir : http://www.boursorama.com/infos/imprimer_news.phtml?num=34a96296c9cbe67c388fee61cff27eee